Les lumières de Bullet Park by Cheever John

Les lumières de Bullet Park by Cheever John

Auteur:Cheever, John
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. étrangère
ISBN: 9782842614256
Éditeur: Le Serpent à Plumes
Publié: 1969-09-15T00:00:00+00:00


X

APRÈS LE DÉJEUNER, Nellie se servit un whisky. Je devrais aller voir un psy, songea-t-elle, jusqu’au moment où elle se souvint du médecin tournant autour de sa chaise de dentiste invisible. Elle le détestait, non à cause de ses activités d’agent immobilier, mais parce qu’elle avait toujours eu vaguement le sentiment que la psychiatrie pouvait apporter un remède à n’importe quelle situation de crise, et qu’il avait anéanti ce sentiment réconfortant. Elle se souvint que la femme de ménage – la voleuse – avait de fausses dents. Le produit désinfectant qu’elle préférait était chimique et il était censé embaumer les bois de pins en montagne, mais cette imitation de l’air suave des hauteurs était si grossière, artificielle et écœurante que c’en était une farce. Des cuvettes de W.-C. couronnées de neige. Eliot lui avait demandé de faire appel au gourou, et c’est ce qu’elle fit.

Les quartiers pauvres – la partie la plus ancienne de la ville – se trouvaient le long des rives du fleuve. Nellie n’avait jamais aucune raison de s’y rendre. Elle avait lu dans le journal que des femmes y étaient agressées et volées en plein jour. Des bagarres au couteau éclataient dans les bars. La pluie était dense cet après-midi-là, la lumière faible. La pluie a toujours la même saveur et pourtant, aux yeux de Nellie, elle tombait d’une grande variété de ciels. Certaines semblaient être lâchées tels de vastes filets depuis les firmaments candides de son enfance, certaines étaient orageuses et amères, certaines avaient la force de la mémoire. Ce jour-là, la pluie était aussi salée que du sang. Nellie, donc, s’aventura dans les quartiers pauvres, jusqu’au salon funéraire Peyton. C’était un bâtiment à charpente de bois miteux pourvu d’une embrasure de porte au linteau pointu – visant à donner un caractère sacré aux lieux – sous laquelle les morts (assassinés dans des bagarres au couteau) arrivaient et repartaient vers un sombre cimetière au milieu de nulle part. Sur la gauche, elle vit une porte menant, supposa-t-elle, aux étages supérieurs. Elle l’ouvrit et se retrouva dans un vestibule vide à l’exception d’une cage d’escalier.

L’étrangeté de ce décor la troublait aussi profondément que si elle inhalait sous son propre toit non seulement les forces de la bienséance, mais également une essence qui conditionnait ses chromosomes et ses organes. Les relents peu familiers du vestibule – les relents immémoriaux de ce genre d’endroits – semblaient la dépouiller de toute droiture morale. Du regard, elle chercha un quelconque objet familier – un extincteur d’incendie aurait fait l’affaire – mais rien, dans ce vestibule, n’appartenait à son univers. Si l’un des légendaires violeurs dont elle lisait les méfaits dans le journal du soir l’avait abordée, elle aurait été sans défense. Elle était perdue. Elle avait peur. Son instinct lui soufflait de rebrousser chemin ; son devoir lui commandait de monter l’escalier ; et l’écart entre ces deux forces semblait s’apparenter à un vaste fleuve dénué de pont, semblait lui laisser entrevoir la force du dédoublement régnant dans sa vie. Il lui



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